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Manuel PaivaL’art du détournement et de la récupération.

 

 

La rencontre de Manuel Paiva en 1984 a été le début de l’histoire.

Manuel Paiva, maçon portugais, devenu français, après avoir fuit le Portugal

et la dictature Salazar, avait refusé de faire le service militaire, évitant ainsi d’aller faire la guerre en Angola, en Guinée ou au Mozambique.


Grace à des « passeurs » rémunérés, en compagnie d’un cousin,

il traversa, en barque et de nuit, la rivière, qui sépare le Portugal de l’Espagne.

De la même manière, la nuit, en barque, il franchit la Bidassoa

près d’Hendaye, pour se rendre en France.

Il rejoint ensuite Niort pour y retrouver sa future femme, Nathalie.

Après avoir été employé par une entreprise,

il décida de s’installer à son compte.

Exproprié de sa maison, pour permettre à la Ville de Niort de construire

un giratoire, il a demandé au Maire de Niort l’autorisation de démolir,

une maison voisine de sa maison, afin d’en récupérer les matériaux

pour construire sa nouvelle maison.

Démolir sa propre maison, aurait été pour lui un déchirement.

Deux autres maisons ont complété cette source de matériaux.


Il a trouvé une « ruine moderne »,

un début de maison abandonné en cours de chantier.

Le terrain, isolé, n’était plus constructible, sauf à terminer «l’œuvre» commencée… ce qui était assez ridicule.

Après bien des difficultés administratives, nous avons pu obtenir

un permis pour construire autre chose, mais au même emplacement.


Manuel m’a demandé de lui dessiner une maison où il pourrait montrer tout son savoir faire à ses futurs clients.

J’ai dessiné un objet très symétrique, un peu monumental.

L’effet monumental était renforcé par la présence de colonnes en moellons calcaires, inspiré des granges à piliers de la région.

De nombreux éléments proviennent de démolitions : une fenêtre cintrée, en pignon, à l’intérieur : l’escalier en pierre, le garde-corps, des pièces de charpente etc.

Tout ceci s’est fait dans une recherche constante d’économie.

Seul le travail n’était pas économisé.

J’avais dessiné un grand linteau de fer, sur la façade principale, mais il fallait acheter cette poutrelle.

Manuel Paiva a eu une idée géniale pour résoudre le problème du grand linteau et de la portée importante avec les moyens du bord :

Il a utilisé des « crèches » (auges monolithes en pierre) provenant d’une ferme, il les a couchées sur le côté, mis des fers, à l’intérieur du creux et coulé du béton utilisant la pierre comme coffrage perdu.

L’économie et l’imagination ont transformé le projet.


Il manquait une cave.

Après avoir construit, à l’extérieur, en creusant le sol derrière la maison, une cave couverte d’une voûte en pierre, puis recouverte de terre,

Manuel Paiva est parti de l’intérieur de la maison, en creusant un trou dans le dallage. Un tunnel a été crée pour passer sous les fondations et

rejoindre la cave voûtée...

Cette maison, pas parfaite, mais pleine de poésie, a été le début d’un travail et d’un apprentissage avec la pierre et le recyclage, le tout dans un folklore unique, étonnant, qui surprenait les clients publics ou privés mais qui surtout rendaient les personnages très attachants.

Au fil du temps, la maison s’est enrichie de nombreux petits éléments annexes : une piscine décorée d’azulejos, un four à pain, fait d’une coupole en brique, des préaux avec des cheminées etc.

 

J’ai très vite compris qu’un des moyens les plus simple pour s’inscrire dans un territoire, c’était de « passer » par le matériau.

Le grand exemple me venait de ma passion pour l’œuvre de Carlo Scarpa qui utilisait les matériaux et les techniques traditionnelle de la Renaissance - à Venise - dans une écriture « moderne ».

HB